Des gros poissons

On l'a fait. Bah oui on a beau se raconter des histoires et essayer de faire croire que c'est par pur moralité que l'on ne fait pas les whale-sharks (« nan mais attend c'est trop touristique, les pauvres bêtes quoaaa »), lorsque l'on a appris que le prix était passé de 350$ à 120$ (fin de saison oblige) les belles paroles ont vite été oubliées et on a foncé chez le tour operator, samedi 13 Aout. Nous avons réservé pour le lendemain, qui était le dernier tour de la saison. Le tour ne s'appelait plus « Whale sharks tour », mais « ecotour » et si on ne voyait rien il ne fallait pas venir pleurer.

Moi et Julien mode snorkelling power...
Dimanche 14 donc, on enfile nos maillots de bain et l'on se rend au point de rendez-vous de notre compagnie, Ningaloo Whalesharks 'n' dive, basé au caravan park où nous avons dormi tout début juin. Avec nous beaucoup de vieux, des touristes, et deux-trois nenettes du coin, style je-passe-la-moitié-de-ma-vie-dans-l'eau-et-l'autre-dans-un-magasin-de-surf, qui rigolent avec les anims en leur touchant le bras. Et donc l'équipe d'anims, burinés par l'air marin et blondis par le sel, lunettes de soleil et dent de requin en collier. La moitié je les reconnais, ils sont déjà au moins une fois passés à ma caisse pour acheter du PQ.

On monte donc tous dans le mini bus qui nous emmène à la rampe de bateaux, juste avant le National Park. On scrute avec inquiétude les nuages un peu trop gris, mais comme il fait chaud on ne s'en formalise pas trop. J'ai l'impression d'être retournée à l'école primaire un jour de sortie scolaire, on a tous nos sacs à dos sur les genoux, on est excité par la journée et ce qu'elle va bien pouvoir nous réserver, et on signe des décharges à la va-vite du genre « si je me fais bouffer par un requin je ne porterais pas plainte contre la compagnie ».

On arrive sur la plage, on voit une tortue morte parce qu'elle a bouffé un sac plastique (pas de IGA, on ne donne PAS DE PLASTIC BAG!), puis le skipper du bateau, coiffé d'un bandana pirate, vient nous chercher en zodiac. On est dans le premier groupe avec Julien. Le bateau s'appelle Aliikai, un genre de mini yacht, on monte par l'arrière sur une petite plate-forme au ras de l'eau, le poste de pilotage est en haut et on peut y faire un tour par une petite échelle.


Quand on arrive il y a des biscuits qui nous attendent (les mêmes qu'à la pause café du IGA, genre de faux ptits beurre fourrés de crème au milieu, c'est pas super bon mais ça se mange!), on essaye les palmes et les masques, on fait le tour du propriétaire avec les yeux qui brillent.

A bord
Puis le bateau quitte la baie, et en quelques minutes on franchit la barrière de corail et on se retrouve au milieu du Grand Bleu.
Pendant qu'une des anims nous explique les règles de sécurité lorsque l'on plonge avec les whales-sharks, à l'aide d'une petite figurine en plastique, tout d'un coup un dos de baleine apparaît à quelques mètres du bateau. On est tous surexcités et on se presse contre le bastingage, appareil photo vissé à l'oeil. L'anim fait un peu la tronche de se faire ainsi voler la vedette, et nous dit qu'on en verra d'autres. Soit. 

Pendant un long moment pourtant les baleines se font désirer, et je sens un petit moment de stress parmi les anims (il y en aura d'autres). Mais pro comme ils sont ils restent souriants comme si les gros nuages noirs et l'absence de manifestation sous-marine n'allaient pas gâcher une si belle journée. L'océan est assez remuant, et je sens parfois mon estomac venir chatouiller mes amygdales lorsque je vois l'horizon faire des bonds (apparemment je n'ai pas vraiment le pied marin)
Je me poste au niveau du poste de pilotage (être en hauteur me fait du bien) alors que Julien se la joue Leonardo Dicaprio debout sur la proue. 

Photo de moi prise par la photographe de la compagnie
I am the king of the world!
On cherche du regard les dos noirs des baleines, ou leurs souffles blancs. Quand enfin on en déniche, le bateau file vers eux et on peut enfin apprécier le spectacle de ces gros mammifères s'éclatant dans l'eau comme des gosses à Europa Park. Ils semblent savoir que l'on est là et font les beaux dans l'eau, se tournant sur le dos en agitant les nageoires, battant de la queue, les petits suivants leur mère dans leurs jeux aquatiques. Sur le bateau ça mitraille de photos, et on est tous à s'extasier devant le show des baleines à bosse (Humpback in english) en transhumance vers des eaux plus chaudes.


Après plusieurs minutes et plusieurs baleines, je sens à nouveau ce petit flottement parmi les anims. Il fait de plus en plus gris, le soleil ne veut pas se montrer, et l'avion chargé de repérer requins-baleines et raies mantas au-dessus de nous a une mauvaise visibilité. La plupart des passagers retournent dans la partie commune et papotent entre eux, la bonne humeur demeure. Moi je reste au poste de pilotage avec deux-trois autres personnes qui discutent pêche à la crevette avec le skipper.
Soudain, dans la radio du skipper, la voix du pilote de l'avion retentit clairement: « WHALE-SHARK!!! » Wouhooou! Aussitôt c'est le branle-bas de combat (oui j'adore cette expression), le bateau fait un espèce de demi-tour sec, moi et les quelques autres personnes descendons dard-dard en bas où tout le monde est déjà en train d'enfiler ses palmes et son tuba.

L'excitation est à son comble, on arrive dans une zone où il y a déjà le bateau d'une autre compagnie, on se classe en deux groupes, le premier groupe saute et suit quelque chose que nous ne voyons pas de là où nous sommes. 

Puis c'est à nous, petite seconde d'hésitation devant cette eau sombre et mouvante dont la fraicheur nous transperce déjà, mais il faut y aller, sauter et pendant la demie-seconde où l'on est suspendu dans le vide, se demander un peu ce qu'on fout là... Mais ça y est l'eau est partout, et pas si froide qu'elle en avait l'air. 
Sous l'eau j'admire encore une fois la vision incroyable que l'on a avec le masque, je vois les jambes des autres s'agiter dans l'opacité de l'océan.


L'anim qui nous accompagne nous presse, hop hop suivez-moi, il arrive le requin-baleine, il arrive face à nous, c'est un peu l'anarchie dans les remous qui nous secouent dans tous les sens. 

D'un coup je replonge la tête sous l'eau, et paf. Je le vois, face à moi, presque irréel, si clair et si bleu, si calme, énorme poisson tacheté qui semble glisser en silence dans ce monde étrange où tout est comme au ralenti. 

La bêêêête...
Hop on lui emboite le pas, on nage comme on peut collés à la surface, troupeau d'humains malaisés avec nos nageoires et nos blanchies artificielles. 
Il a l'air d'être au ralenti le whale-shark mais il file à une vitesse d'enfer, et je le vois s'éloigner devant moi avec une facilité incroyable alors que moi j'ai les muscles des cuisses déjà cuits et le souffle court. « Il est parti comme une fusée, j'avais pas des bonnes sensations, j'ai préféré prendre le gruppeto »... 

Attaque à l'avant!
Du coup je regarde un peu autour de moi, on voit le fond à quelques mètres et des groupes de poissons dont personne ne prête attention. J'essaie quand même de suivre le groupe, heureusement je ne suis pas la seule à m'être faite distancer par le géant des mers. 

En remontant sur le bateau on est tous morts, les jambes en feu, brassés par l'océan, mais le sourire aux oreilles de l'avoir vu, la star de la région. Et là un anim dit à la ronde: « hop deuxième session! » on en peut plus mais on y retourne, et encore une fois, il passe devant nous, indifférent et tranquille, on essaye de le suivre, on se fait lâcher en deux minutes, et on lutte pour rejoindre le bateau. Et une troisième fois ensuite, où on le voit du dessus. Moments ultra intenses, où épuisement et excitation se mêlent, le meilleur cocktail pour des souvenirs quasi parfaits.

Le tout petit humain qui tente de prendre une photo à droite, c'est Julien
On a froid, on est crevé, mais on parle tous de ce que l'on vient de voir, on a tous encore la tête sous l'eau et dans les étoiles (de mer). 

Vient le moment du lunch, à point nommé. Des odeurs de bacon, d'oeufs et de poulet roti envahissent le bateau, il y a de la musique et une baleine vient même nous faire la fête. On dévore le repas avec plaisir, Julien et moi reconnaissant bien sûr chaque produit servi (« tiens de l'asian salad » « et le poulet roti à 12,95$ »)

Anim-beau-gosse et anim-rigolo devant la bouffe
On repart tranquillement vers notre point de départ, et je me sens un poil déçue (« déjà? »)
Mais arrivés pas loin de la rampe de bateaux, dans la baie, les anims nous annoncent que l'on va faire une session snorkelling. Youpi! Un peu difficile de se déshabiller à nouveau alors que l'on commençait à peine à se réchauffer. 

Mais on est là pour profiter à fond, alors on plonge, et on admire les fonds marins, les coraux et leur lot de poissons multicolores. 

Quand faut y aller...
Julien qui plonge, moi je reste à la surface
Oh! des poissons jaunes avec un point noir sur la queue pour tromper les ennemis!


Tout le monde s'éloigne vers l'avant du bateau, mais moi je reste en retrait, gênée par un problème d'eau dans mon masque. La tête émergeant de l'eau, je tente de réajuster mon masque pour arranger cette pénible inondation. Un des anims me demande si ça va, je lui explique mon problème, il vient à ma rescousse. Et tandis qu'il me donne des conseils, d'un coup il me dit de remettre mon masque au plus vite, il m'entraine sous l'eau, je ne comprend pas ce qu'il se passe, je plonge la tête sous la surface et là je vois. 

A deux mètres de moi passe une grosse bestiole grise, gros boudin muni d'une queue plate et d'un nez d'éléphant sans trompe. 
Je le reconnais immédiatement. Un dugong. Ou vache de mer. L'un des plus étranges animaux marins. Ni une ni deux je le suis, mon masque à moitié en travers de la gueule (mais je m'en fous) 

Moi à la poursuite du dugong (la tache grise au fond)
Cette fois-ci je suis dans le sens du courant, ce qui me permet de rester à sa hauteur pendant plusieurs minutes (ou peut-être juste quelques secondes, mais sous l'eau le temps est différent) Je le suis et je ne le lâche pas des yeux, et dans ma tête je me dis que c'est un moment incroyable que je suis en train de vivre, que je ne dois pas en perdre une miette. Je suis seule avec le dugong, qui malgré son air patapouf, paraît si agile et si gracieux dans l'eau. 

Meeeuh
Peut-être parce que je m'approche un peu trop, il accélère, il tente des feintes pour me distancer. Je finis par le laisser vraiment partir, et je remonte à la surface vider la moitié de l'océan qui me noie les yeux. Wouah! 

Je regarde derrière moi, le bateau est loin, si loin! Il faut revenir maintenant... A contre-courant. Je croise Julien, je lui demande pleine d'espoir s'il a aussi vu le dugong, son air surpris me donne la réponse. Trop tard, les animaux marins passent et s'en vont, il faut être là au bon moment. 

Le retour vers le bateau est dur, je suis épuisée. Deux anims sont là (dont la photographe) me conseillent de nager sur le dos, c'est moins fatiguant. Puis celui grâce à qui j'ai vu le dugong me tend la main et me traine comme ça jusqu'à la bouée du bateau qu'un des autres anims à bord tire à lui. Facile! 

Finalement nous ne sommes qu'une petite dizaine à avoir vu le dugong, et les autres font un peu la moue. Grâce à mon problème de masque j'ai pu nager avec lui, me retrouver seule en tête à tête avec lui, maintenant avoir de l'eau dans mon masque est quasiment une bénédiction.

Sur le bateau on se sèche, se réchauffe, on mange des fruits frais (« tiens de la pomme granny smith ») 

On fait des photos de groupe où on doit tous imiter le whale-shark, c'est marrant. Comme une fin de colo. 


En arrivant on aperçoit des dauphins au loin. Avec Julien on est aux anges. Nos premiers dauphins! Même s'ils sont de loin et que l'on ne voit que leurs ailerons.
Puis c'est le retour à la terre ferme, le retour à Exmouth, le retour chez nous où on reste émerveillés jusqu'au soir. 
Le lendemain on acquiert le CD de photos de la photographe de la compagnie, qui pour nous le fait à moitié prix (parce que nous sommes des « locaux »!)
Et toute la semaine qui a suivi, j'ai revu avec plaisir au IGA certains de nos compagnons du tour, des anims, on s'est fait des grands bonjours et on a parlé de notre journée, reliés par nos émotions communes.




*Ajout du 27 Août*

L'heure du départ approche. Demain est mon dernier jour au IGA, lundi le dernier jour dans la maison, et de mardi à jeudi, si tout va bien, on passe du temps au National Park, que nous n'avons jamais réussi à faire entièrement encore. Ensuite on file vers Karijini, puis Broome, puis...


En moi se mêle beaucoup d'émotions contradictoires, et j'ai du mal à faire la part des choses, à savoir laquelle suivre, laquelle est "la vraie".
Après trois mois passés à Exmouth, forcément je ressens un pincement au coeur de partir, c'est un si petit village que je ne fais pas trois mètres dans la rue sans croiser un client du IGA, sans saluer quelqu'un. A part dans mon village d'enfance je ne connais pas un autre endroit où c'est comme ça pour moi. 
J'ai rencontré des gens adorables, des gens sympas, des gens avec qui j'ai partagé des bons moments, et ils me manqueront forcément un peu.
Et puis l'environnement ici est si riche, et je suis loin d'en avoir fait le tour.


Mais d'un autre côté, je suis en Australie pour voyager avant tout, pas pour me poser, et l'appel du voyage retentit à nouveau. Je sais très bien qu'il y a mille autres endroits aussi beaux qu'Exmouth (et peut-être plus). 
J'ai aussi du mal à partager cette idée de "paradis" de ceux que je côtoie. Peut-être parce que j'ai déjà perdu un paradis, et peut-être juste parce qu'ici il me manque beaucoup de choses pour que ça corresponde à un "paradis". J'ai connu trop de frustrations, de désagréments, de contrariétés ici. C'est un chouette endroit où j'ai aimé passé du temps, pour l'instant ça s'arrête là.


Ce que je me dis maintenant, c'est que de toute façon, si Exmouth me manque, je pourrais toujours y revenir. C'est là l'intérêt du voyage, cette liberté d'aller où bon nous semble quand bon nous semble.
Mais à présent il faut avancer, découvrir de nouveaux territoires, tourner une nouvelle page du carnet de voyage.


I'm a poor lonesome cow-boy...

Commentaires

  1. Superbe article! On a l'impression d'y être!! Après Nancy, mon karma me conduira peut être en Australie! Lol! Bon courage pour la suite de la route, c'est bien aussi de faire de nouvelles découvertes et de repartir à l'aventure! bisouss

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  2. ouah les photos sont trop belle !!! c'est genial on a l'impression d'etre avec vous ! trop d'emotion quand tu vois la bebette laide !(je suis trop a fond quand je lis tes articles !)
    bon courage pour la suite, j'espere que t'auras internet bientot !
    gros bisous mon beurthon !!!

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  3. magnifique recit et superbes images! tu devrais vraiment pensé a écrire un récit de voyage. Tu est comme un poisson dans l'eau (enfin presque). JE prepare les cartons (il en a un max !) décollage le 7 sept. JE PENSE BIEN A TOI , mille bisous. V.T

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  4. alors ? pour quand la vrais plongée ?
    Bisous ++

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  5. whooaa terrible les photos !
    t'as un boitier étanche ? + un fish-eye !?!?!?
    enfin bref, c'est beau.
    t'as une adresse où on peut t'envoyer des lettres physiques sinon?

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