Sous la chaleur de Port Augusta

Port Augusta. Presque 6 jours que l'on tergiverse dans cette petite ville étrange, où se mêlent tourisme friqué et misère aborigène. 
Nous sommes les seuls imbéciles dans notre camping à n'avoir qu'une tente (toute déglinguée en plus) sans voiture, et à rester si longtemps. On voit nos voisins se succéder au fil des nuits, jeunes hollandaises en mini shorts, vieux couple de bikers baroudeurs qui dorment dans des swags, des tentes de tous les genres, de toutes les tailles sur le ridicule petit carré d'herbe sans un poil d'ombre dédié aux campeurs. 
On voit aussi défiler des caravanes toutes plus impressionnantes et couteuses les unes que les autres, tirées par des 4x4 qui n'ont sans doute jamais posé une roue dans l'Outback, des camping-cars ultra moderne et luxueux, des vans et des voitures toutes aménagées qui nous rendent un peu amers.

Nous notre tente prend le vent dans tous les sens, il nous manque des sardines, à vrai dire les deux parties ne font même pas partie de la même tente, une fois montée elle ressemble autant à une tente que moi à Adrianna Karembeu. A l'intérieur, toute notre vie, nos sacs, nos ordis, notre bouffe (le nutella que j'ai sauvé à Quorn, ainsi que le café soluble, du vin blanc degueu en poche, très important pour le réconfort!) et notre unique poêle. Nous avons dû chouré des assiettes, et je peux dire que je me sers plus que jamais du couteau suisse-couverts et de l'opinel.
Détail important: nous n'avons pas de matelas, et avons dormi pendant 4 nuits directement sur le sol, essayant tant bien que mal de nous trouver une position confortable et de faire des coussins de nos vêtements, maudissant nos os d'être si pointus. Je dois quand même reconnaître que l'être humain a une capacité à s'habituer à tout, puisqu'au fil des nuits nous avons quand même réussir à plutôt « bien » dormir (bien que réveillés à chaque fois sur les coups de 7-8h du mat par un soleil qui transforme déjà à cette heure-ci la tente en sauna)

Heureusement, depuis hier soir, un matelas gonflable deux places nous ai tombé du ciel. Un mec avait entreposé du matos dans le « lounge » avec un petit papier « help yourself » (=servez-vous) nous nous avons sauvé de la bataille ce miraculeux matelas, que Julien a entrepris de gonfler à la force de son souffle. Il a été sauvé de l'arrêt cardiaque in extremis par un allemand équipé d'un gonfleur-allume cigare, avant que je ne dégonfle la moitié en bourrant le big matelas dans la mini tente (je deviens un peu blonde avec le soleil). Finalement, nous avons pu savourer la joie de dormir confortablement sans mal au dos et à la nuque le lendemain, une révolution! Moi qui ces jours-ci accorde une grande importance aux « signes », je me dit que cette petite amélioration de notre quotidien imprévue ne peut qu'annoncer un retour de la chance pour nous.

On a la classe ou bien? (à faire avec l'accent suisse)
Malgré tout cela, rassurez-vous, ça va plutôt bien, même très bien. On s'amuse de notre situation précaire et hors du commun, du regard pleins de compassion et de « ouf ce n'est pas à moi que ça arrive » que les gens ont quand on leur raconte notre mésaventure. On savoure le moindre plaisir, s'offrir une bouteille de coca, un fish&ships pour deux repas, se balader au bord de l'eau le soir, faire les gamins dans la piscine du camping sous les regards sérieux des autres vacanciers (comme dit Julien: « nous on dort par terre dans une tente pourrie on a bien le droit de faire les cons dans la piscine! »)
On se raconte nos vies et on se soule mutuellement à être trop bavards (bien la première fois que j'ai du mal à avoir le dernier mot avec quelqu'un!), on fait les pestes à commenter les faits et gestes des autres gens, en français (le jour où on tombe sur des français on est mal), on se lance dans des débats houleux où on cherche tous les deux à avoir raison, on se découvre nos défauts bien plus vite que la normale, vu qu'on se côtoie 24h/24, et comme on est deux balances ascendants balances on s'en découvre un paquet en commun (bien qu'il continue d'affirmer que je suis plus bavarde que lui, mais j'en doute!), on se découvre aussi nos différences et notre complémentarité, moi avec mon esprit (trop) analyste d'ex étudiante intello conditionnée, lui avec son sens pratique de boulanger qui a déjà bien bourlingué (ça rime c'est beau), et surtout on se marre beaucoup, malgré toutes nos galères la vie reste légère (et je suis plus que jamais bronzée!)

Julien me fait sans arrêt la promotion de la Suisse, qui pour moi était une chiure de mouche insignifiante (et toujours blanche) sur les cartes de l'Europe, et dont je découvre les terribles rivalités entre suisses romands et suisses allemands (ça c'est comme avec Nancy et Metz, pour eux c'est la chose la plus importante qui soit alors que tout le monde s'en fout), leur aversion pour les français (il a d'ailleurs honte de se balader avec moi), leur culture et leurs expressions bizarres (« une chiée! »), et la fierté d'être suisse (les pauvres...)

Je l'ai déjà dit, mais le fait d'être deux rend plus forts, on s'appuie l'un sur l'autre, ce qui pourrait être désagréable ou déprimant devient drôle et cocasse, on est une équipe face à l'adversité et au reste du monde. On se moque de cette ville déconcertante où l'on reste bloqués, de cette océan (enfin c'est un golfe) où l'eau paraît belle de loin mais dégueu de prés (pleine de coquillages gris, et de sable noir qui pue et où l'on s'englue, bizarre!), où les seules personnes qui se baignent sont des aborigènes, mères toutes habillées affublés d'une tripotée de gosses, ados aux cheveux oranges déjà enceintes, et des gamins pieds nus partout. J'avoue que je ne sais pas quoi penser de ma première confrontation avec la population originelle de l'Australie, qui me font plus penser à des manouches qu'à un peuple riche de traditions artistiques et mystiques. Cette ville sent la misère sociale, et en même temps longeant le golfe un superbe complexe d'appartements de vacances en bois avec piscines et palmiers et caméras de surveillance à 135$ la nuit. Et notre caravan-park où l'on se sent comme des pouilleux avec notre tente, où les superbes caravanes côtoient encore une fois des familles aborigènes qui je pense doivent loger là à l'année.

A gauche, notre tente
Bien sûr on veut bouger de là au plus vite. Nous avons donc passé nos journées à la « library », la bibliothèque, pour internet gratuit, accès aux annonces, sortie de nos CV, la sympathie des employés qui nous connaissent déjà (grâce à Julien qui raconte notre vie à tout le monde)
Nous avons d'abord pensé à du couch-surfing, mais personne ne semble disposé à accueillir des voyageurs dans cette ville. Nous avons fait le tour des agences de boulot, demandé des conseils, déposé des CV, et toujours la conclusion que sans voiture nous restons très limités. Nous avons pensé trimballer tout notre barda dans une autre ville, mais les bus coutent très chers ici, et nous avons du mal à lâcher du fric pour nous retrouver surement dans la même situation. Ce qui nous garde ici également, c'est la proximité de Quorn et de la jeep conservée dans un garage (le gars nous a dit qu'il ne la bazarderait pas tout de suite) avec tous le matos dedans que l'on peut retourner chercher quand on veut.
Au fil des jours, l'obligation de racheter une voiture se fait de plus en plus pressante. Moi je ne peux pas (et ça m'emmerde), et pour Julien c'est un investissement qui le mettrait au même point que moi niveau thunes, un risque énorme à prendre. Mais avec une voiture, on bouge à nouveau, on sort de ce trou paumé, on remet un gros atout de notre coté pour la recherche de taf et le voyage, on a à nouveau notre indépendance, un moyen de transport doublé d'un toit « gratuit » pour dormir. Mais on prend le risque d'avoir à nouveau un ennui technique et de se retrouver dans la vraie merde, d'être juste et pressé par l'argent. Mais il semble que l'on a pas beaucoup le choix.

La difficulté de notre situation réside dans le fait qu'elle est gouvernée par une grande part de hasard et de chance. Selon l'endroit où l'on ira, les portes où l'on frappera, les gens que l'on rencontrera, tout peut s'améliorer ou non. Il faut juste essayer de deviner la meilleure route à prendre.

La plage derrière le camping (de prés c'est degueu)

Port Augusta se trouve entre deux régions qui nous attirent, Eyre Peninsula à l'ouest avec ses magnifiques plages sauvages et sa pêche (peut-être une chance de se faire embaucher pour vider des poissons?), et les vallées viticoles à l'est, qui nous donneraient l'impression de rebrousser chemin, mais vers lesquelles je penche de plus en plus (pour le taf dans les vignes, mais je ne sais pas du tout où ça en est, s'ils embauchent) On pourrait aussi directement filer vers Perth comme prévu, où apparemment les vendanges commencent en février, mais là on prend le risque d'arriver là bas sans vraiment plus rien du tout.
Mon plan à moi (et Julien me suit de toute façon) serait de se trouver un wwoofing dans le coin histoire de destresser un peu (et de remanger de la bonne bouffe) et prospecter la région en même temps, et peut-être avoir la chance que le wwoofing nous fasse rencontrer les bonnes personnes qui embauchent... mais là encore, beaucoup de hasard, nous sommes les jouets du destin, et ça fait un peu flipper.

Mais j'essaie de rester optimiste, de me dire que cette histoire ne peut que mener vers quelque chose de balèze, sinon je ne vois pas bien l'intérêt de tout ça. Tout ce qui s'est passé depuis une semaine a forcément un sens, doit forcément déboucher sur quelque chose. Je ne peux pas croire que je vis tout ça juste pour rentrer en France dans quelques temps en pleurant sur la fin prématurée de mon voyage. Tout comme pour Julien qui a déjà connu des galères bien pires ici et s'en est toujours sorti.
Et puis maintenant on est ensemble, et cela doit forcément n'être que le début de quelque chose.
 
Allez, « Tout'bon! » comme disent les suisses!

Commentaires

  1. oui il y a le destin, certe !
    mais je pense qu'il est possible de l' influencer dans ton cas ...! à toi de jouer !
    Belle aventure !
    Courage !
    gros bisoux

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