Le pire et le meilleur

La vraie aventure est surement celle dont on ne s'attend pas, celle qui fait peur, pleine de sensations et d'émotions décuplées, celle qui se vit seulement au présent et qui oblige à faire appel à sa débrouillardise, à son sang-froid, à ses instincts et à sa capacité de (ré)adaptation.

Après 3 jours sur la route, voilà que l'aventure -la vraie- me tombe sur le coin du nez, sans que je ne m'y attende, sans que je n'y sois préparée, quelque chose de bien plus puissant que ce que je pouvais imaginer dans mes rêves naïfs de novice en voyage (je suis un bébé ici...), quelque chose qui oblige à tout remettre en cause et à décider très vite de tout, pour avancer.

Nous sommes donc partis vendredi 7 sur les coups de 11h, Julien le suisse, Filippo l'italien, moi et Mariko une japonaise du backpacker de Julien venue se rajouter à notre convoi au dernier moment, juste pour les deux premiers jours aux Flinders Ranges. 
Je savourais ce départ de la ville, sous un soleil éclatant (et une chaleur toute aussi éclatante), musique à fond dans la voiture, direction l'Outback, le vrai, là où les paysages sont apocalyptiques, où l'on ne voit rien d'autre de part et d'autre de la route droite que des buissons tortueux et épineux, cramés par le soleil, de la poussière et des cadavres de kangourous sur le bas-coté.

Vers les Flinders
Sur la route, padam padadadam...
Dans la voiture l'ambiance était au beau fixe, Mariko et Filippo discutait beaucoup à l'arrière, et Julien et moi à l'avant, ça piaillait dans la jeep. Et faire de la route pendant des heures est quand même la meilleure façon d'apprendre à connaître quelqu'un, parce qu'on a que ça à faire de discuter, et les discussions vont tout de suite loin. J'ai eu le plaisir de conduire ce gros machin, au son de chansons françaises kitsh que Julien avait mis pleins tubes: « et tu danses, danses, danses, ce refrain qui te plait, et tu tapes, tapes, tapes, c'est ta façon d'aimer! » que l'on chantait à tue-tête, devant les deux autres effarés (ne sachant pas bien s'il fallait oser dire que c'est de la merde)

Julien, Filipo, Mariko

Le soir nous sommes arrivés dans les Flinders Ranges, petite chaine de « montagnes » au milieu de nulle part, tout en rocs et en aridité. Nous avons décidé de faire du camping sauvage, et là première aventure quand nous nous sommes avancés dans l'Outback avec la jeep: ça secouait dans tous les sens, et au moment de franchir un fossé, nous avons coincés la voiture. Mariko et moi ne faisions pas les fières, mais Julien semblait maitriser la situation (et sa voiture, avec laquelle il baroude depuis un an) et, guidé par Filippo, il a sorti la jeep à grands jets de terre rouge.

L'installation de notre campement a été un peu chaotique, nous retrouvons au milieu de saloperies de petites plantes sèches et hyper épineuses avec des saloperies de petites graines qui s'accrochent partout et qui grattent. Et des fourmis, et des araignées. Je voulais du camping sauvage dans l'Outback, pour le coup j'étais servie! Et toujours la chaleur qui nous rendait moites et puants, et bien sûr pas de douche. Nous avons décidés de faire des crèpes pour diner, et en bonne française que je suis c'est moi qui me suis lancé dans leur confection, sur le capot de la voiture, complétement improvisées, avec la nuit qui tombait et les autres qui galéraient pour gonfler les matelas pneumatiques.
Nous étions fatigués et un peu maladroits dans cette nature hostile et avec l'organisation de notre équipée, mais c'était l'aventure, le kiff total si je puis dire, la liberté, ce que je voulais.

Aussie landscape...
Le lendemain nous avons posé la voiture dans le caravan park des Flinders (on ne tient pas longtemps sans un peu de confort...) et Mariko, Julien et moi (l'italien ayant déjà fait les Flinders) avons entamé la plus dure rando pour atteindre un point de vue sur tout le massif. Un chemin seulement constitué de rochers rouges, de plantes arides et de gros lézards. 

Un dinosaure

Au sommet nous avons dégusté nos sandwichs dégueu, nous nous sommes faits attaqué par des fourmis, puis nous sommes redescendus au caravan park où Julien et moi avons gouté le « plaisir de la bouteille de coca fraiche ». Dans ces endroits l'eau fraiche (et bonne) est un luxe. Il est impossible de conserver de l'eau fraiche, et celle qui sort des robinets est jaune, acre et tiède. Après 4h de rando à cramer sous la chaleur, notre première envie a été d'accourir au magasin du caravan park et de nous payer une bouteille d'eau et une de coca glacées. Un plaisir indescriptible. Nous avons ensuite gouté au plaisir de la douche, où j'ai découvert dans le miroir que j'avais cramé bien comme il faut. Le soleil étant caché par d'épais nuages blancs ce jour-là, Julien et moi (la japonaise passait son temps à flipper pour le soleil, à se tartiner de crème et à porte des manches longues) avions tout simplement oublié de mettre de la crème solaire. Nous étions donc rouges comme des tomates (« rubiconds » en suisse...!). J'ai donc ensuite gouté au plaisir de la Biafine, que je n'ai pas regretté d'avoir emmené...!

Vue sur les Flinders
Kangourou-pigeon au caravan-park
Le lendemain nous avons tranquilement quitté le caravan park, après un bon petit déj (fruits au sirop, café, Nutella... miam) et aprés que je vécusse (oui oui) ce que je pense peu de personnes vivent: j'ai dansé avec un kangourou! Oui bon ça paraît magique comme ça, en fait c'est juste que je tenais le pain de mie dans les mains, et qu'un des kangourous qui trainaient dans le camping s'est approché de moi, par l'odeur alléché, et s'est d'un coup dressé sur ses pattes arrières (et il avait beau être petit, c'est impressionant) et m'a cramponné les mains en essayant d'atteindre la bouffe. Ça avait beau être juste pour le pain de mie, c'était un moment incroyable de me retrouver face à face avec un kangourou, qui m'agrippait et qui sautillait devant moi avec sa petit gueule de con. On aurait dit que l'on dansait ensemble.

Veux-tu danser la carioca?
Nous avons repris la route en fin de matinée, direction Port Augusta pour déposer la japonaise, et filer ensuite vers l'Ouest...

Et là... le drame.

C'est là que d'un seul coup, sans prévenir, la voiture nous a laché. Au milieu de nulle part, entre les Flinders et Port Augusta, elle a cessé d'accélérer, a allumé ses voyants, obligeant Julien à s'arrêter sur le bas-coté où il a ouvert le capot d'où une légère fumée s'est échappée. Julien s'est tout de suite montré rassurant: « pas de problème, c'est rien, elle a chauffé, c'est peut-être juste la batterie, quelqu'un va passer et on va la recharger et repartir » Du coup tout le monde était très calme, quand des gens se sont arrêtés pour jeter un coup d'oeil, quand nous nous sommes rendus compte que ce n'était pas la batterie, que nous n'avions pas de réseau, quand Mariko et Filippo sont partis avec un couple pour chercher un garage dans la prochaine ville (et on était dimanche)
Moi je suis restée avec Julien, qui par son attitude extrêmement calme et apaisante m'empêchait de stresser et me faisait garder ma bonne humeur, nous étions au milieu de nulle part sur une route sous le soleil écrasant, mais nous avions de l'eau, de la bouffe, nous discutions et nous déconnions.

Sont arrivés au bout d'une demie-heure deux types d'un garage, un vieux bourru affublé d'un espèce de jeune punk à crête rose, lunettes de soleil multicolore et pantacourt au ras du cul. Pas très causants, le garagiste à mis de l'eau dans le radiateur, mis le contact, et quand l'eau a jailli comme un geyser il a dit que ça ne sentait pas bon, que ça allait être très cher. J'avoue que dans la camionette tractant notre jeep en route pour Quorn, j'ai senti une vague de désespoir me gagner, voyant mon rêve de road trip, qui commençait si bien, s'envoler en fumée.

A Quorn les choses ont été très vites. Nous avons retrouvé Mariko et Fillipo, elle devait à tout prix rentrer à Adelaide pour son boulot et devait chercher des gens pour l'emmener (il n'y a pas de transports en commun à Quorn...), Fillipo a décidé de l'accompagner. Julien restait bien sûr avec sa voiture. Et pour moi, le choix a été clair. Je n'ai même pas eu l'impression de faire un choix. Je suis restée.

Nous avons donc pris une place au caravan park de la ville, en attendant le diagnostic que le garagiste devait nous donner le lendemain. 
Vraie ville d'outback, rude et écrasée de chaleur, avec ses larges rues comme dans les westerns, son pub, ses vieux trains, ses gens qui paraissent aussi rudes que le paysage alentour.

Quorn, ses voies ferrées abandonnées
Quorn, ses rues western
A ce moment là, d'un coup, tout était remis en cause, d'un coup tout était différent. Julien ne voulait pas dépenser trop, forcément, sa voiture étant déjà vieille, il ne pouvait pas se le permettre. On espérait bien sûr que ce ne serait rien, mais l'inquiétude nous rongeait. On échafaudait déjà tout un tas de solutions, tout un tas d'autres pistes.

Le lendemain bien sûr, la mauvaise nouvelle est tombée. 4000$ pour la réparation. Le prix d'une voiture neuve. Et même sans ça, il fallait payer la tractation de la voiture, et son envoi à la casse. Julien avait acheté cette voiture un an auparavant, avait travaillé plusieurs mois avec les moutons pour l'entretenir, l'avait bichonné, lui avait fait tous les changements et les contrôles nécessaires, et espérait la revendre un bon prix en repartant, et il se retrouvait d'un coup à perdre son moyen de locomotion, son argent, et beaucoup de matériel accumulé. J'ai admiré le calme qu'il a gardé tout le long, cherchant sans cesse une autre solution, réfléchissant sans cesse à un moyen de rebondir, ne se laissant jamais aller au désespoir ou à l'abattement. J'ai admiré cet espèce de « fatalisme optimiste », cette façon de penser « c'est comme ça on y peut rien et ça ne changera rien de se lamenter ». 
Moi à coté je ne pouvais qu'essayer de ne pas laisser éclater ma déception et ma peur de l'imprévu, et juste apporter mon soutien, qui lui a été précieux je crois. C'est incroyable comme être deux change tout, apporte une force et un courage supplémentaires, fait vivre les choses deux fois plus intensément, et fait apprendre beaucoup aussi.

Nous avons donc réfléchi tous les deux à quoi faire après, puisque, comme je lui ai dit, pour moi l'aventure continuait avec lui, il était hors de question de le laisser comme ça, de l'abandonner dans sa galère de bagnole. Il y a des choses qui se passent parfois, qui nous échappent totalement, et c'est surement ça la véritable aventure. J'étais partie pour un road trip jusqu'à Perth, et d'un coup tout change, tout est remis en cause en une seconde. On a pas le choix que de l'accepter, même si ça fait mal (et ce n'est pas à moi que ça fait le plus mal) et se dire aussi que si ça se passe comme ça il y a une raison, une autre voie à prendre.

J'ai peur parce que j'ai toujours peu de sous, et que tout ceci peut autant réussir que foirer totalement. Mais je sais que je suis là où je dois être. Julien et moi avons les mêmes buts, les mêmes avis sur ce qui se passe. Il est juste naturel de continuer l'aventure ensemble. On parle énormément (il dit que je suis bavarde mais je crois qu'il l'est plus que moi) on fait bloc partout où on passe. Il a une expérience et un « culot » que je n'ai pas, et je pense que mon soutien, mes avis lui sont précieux. Les galères nous font rire ensemble, et à deux il est plus facile de se changer les idées en parlant d'autre chose, de faire des bilans et des plans, de se sentir confiant.

J'ai l'impression d'attaquer un autre voyage, j'ai l'impression que tout ce qui s'est passé avant ce vendredi 7 janvier est un passé déjà lointain.

Et cette aventure, bien que stressante, est incroyable d'intensité. Je suis à 100% dans chaque chose, chaque événement, chaque moment. Tout ce que l'on vit est fort, les gens que l'on rencontre et avec qui l'on parle, ceux qui nous aident, les occasions que l'on tente de saisir, les opportunités que l'on tente de dénicher, notre futur que l'on tente de dessiner du mieux possible.

Nous voilà aujourd'hui à Port Augusta, où l'on va chercher une nouvelle voie à prendre. Un boulot, un couch-surfing, un wwoofing, peut-être une autre voiture (Julien peut et veut, mais se retrouvera au même point que moi ensuite) On va rebondir, je le pense, je l'espère.
De toute façon ça aura été (et sera) l'une des meilleures aventures de ma vie.

Commentaires

  1. oh roxy! j'adore te lire car j'ai (presque) l'impression de vivre tes aventures même depuis ma chambre parisienne!
    je sais que tout cela est nouveau pour toi ms tu sembles le vivre de manière très raisonnée dc je te dis BRAVO! continues comme ça, je sens que d'autres aventures vont t'arriver et que tu vas ressortir de tout cela grandie!
    enjoy la miss et on pense à toi avec tes kangourou!

    bsx!
    daph!!

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  2. yo beurthon ! bon bah c'est magedo quoi niveau bagnol, ca vous détourne de la voix initialise et plus sécurisante (quoi que deja c'était pas hyper secur !) mais comme tu le dis c'est surement pour vous amener vers autre chose, des rencontres, des moments fort autrement que sur la route!
    c'est cool que tu ne regrette pas tes choix (tu as raison) , tu n'es pas seule et je suis sure que vous allez vous dépêtrer de tout ça !
    tiens nous au courant !
    je t'embrasse grosse baroudeuse de l'extrême !

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  3. La vie nous réserve beaucoup de surprises !
    là ce n'est qu'un gros problème matériel, tu vas trouver à t'en sortir,
    il faut raisonner pausément avec ton coéquipier,
    vous allez trouver la solution, j'en suis sûr !
    il faut se battre avec force et intelligence,et tout ça va vous ouvrir d'autres perspectives.
    tu est capable de te sortir de cette galère la tête haute ! l'être humain à une force qui ne se mesure pas !
    Allez courage !
    et raconte nous, on attend.

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  4. bon ben, voila l'aventure est au coin de la route. BRAVO pour ton esprit d'équipe!je pense ,que comme les kangourous, tu vas sauter a pieds joints pour t'arracher de ce probleme; QUE LA FORCE SOIT AVEC TOI ! courage et gros bisous. Vieux tressage n'emettra pas pendant un certain temps because déplacement en zone desertique (si si ça existe en France!) a bientôt .

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  5. Wa! et merdum! ;) Comme d'habitude, c'est un vrai plaisir de te lire. C'est comme si on y était. Et ça prend de plus en plus des allures de roman à la Paulo Coehlo avec l'imprévu, l'acceptation du destin et après la joie de rebondir et de découvrir de nouveaux horizons! Et puis, comme tu dis, à deux on est aussi plus forts et ça permet de vivre d'autres aventures! bon courage!!! je t'envoie quand même des ondes positives (on sait jamais, ça peut servir) mais même sans ça, tu te débrouilles comme une chef!!!!

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